Le Champ d’Argile®, chemin de transformation 

Journal Synodies, été 2010 | Publication du GRETT, Groupe de Recherches et Etudes en Thérapies Transpersonnelles.


« Lâcher prise »
signifie admettre, laisser s’accomplir sans nous occuper de nos
représentations, projections, désirs ou préjugés ;
admettre ce que nous rencontrons spontanément qui est Vie ;
admettre ce qui jaillit de l’Etre authentique qui en permanence nous meut de l’intérieur.

Karlfried Graf Dürckheim – Pratique de la voie intérieure


Marie Louise von Franz, collaboratrice de C.G. Jung écrit dans « l’homme et ses symboles » : « on peut considérer le Soi comme un guide intérieur qui est distinct de la personnalité consciente »… Elle en parle comme du « centre régulateur qui provoque une extension et une maturation croissante de la personnalité », et elle rajoute « mais cet aspect plus riche, plus total de la psyché n’ est d’abord qu’une virtualité innée… et son degré de développement dépend de la bonne volonté que met le Moi à écouter les messages du Soi… Le Moi doit être capable d’écouter attentivement et renonçant à ses fins, à ses projets propres, de se consacrer à cette impulsion intérieure de croissance ».

Le Champ d’argile®, boîte rectangulaire remplie d’argile nous invite à ce chemin. Dispositif très original créé dans les années 70 par Heinz Deuser, dans la mouvance de la thérapie initiatique de Karlfried Graf Dürckheim, il offre la possibilité de se rencontrer en profondeur, de contacter les forces créatrices issues du Soi et de les laisser nous transformer.
Dans ce travail, c’est l’être profond qui cherche la solution, pas le moi.

Concrètement, on propose à la personne de s’asseoir, de prendre contact les yeux fermés avec le champ d’argile posé sur une table et de laisser faire ce qui vient.
Dans un premier temps, le champ d’argile, c’est l’autre; c’est un travail de relation : en touchant cet autre, la personne est touchée, elle entre dans un processus formateur et créateur basé sur le sensoriel, et plus largement sur l’haptique qui comprend les perceptions kinesthésiques et proprioceptives, les perceptions venant de tout le corps, c’est à dire d’un niveau largement inconscient.

La façon qu’elle a de toucher, par exemple avec plus ou moins de pression, avec des mains plus ou moins tendues va déterminer des sensations, un ressenti et va provoquer des gestes différents; par exemple, la sensation que c’est dur peut amener la personne soit à taper, soit à pénétrer, soit à vouloir humidifier, selon ce que ce « dur » éveille en elle dans son histoire personnelle, selon ses besoins et possibilités propres.
Les mains vont entrer en mouvements, guidées par une impulsion intérieure. La personne ne sait pas ce qu’elle fait ou ce qu’elle veut faire, il s’agit de laisser faire et de suivre les besoins qui émergent.

Lisser, caresser, saisir, diviser, arracher, rassembler, former, enlever… de multiples actions sont possibles qui vont se succéder et qui vont peu à peu amener à la satisfaction du besoin évoqué dans cette séance.
En formant et en transformant la matière, la personne se forme et se transforme : en décollant l’argile, elle se décolle d’anciennes relations, en sortant l’argile du champ, elle se crée son espace, …
Dans ce travail, on repasse par les différentes étapes de l’ontogenèse pour aller vers une maturation humaine de plus en plus développée, et les besoins, spécifiques à chacun, évoluent : être en contact peau à peau, être touché, être contenu, trouver un vis à vis, trouver un équilibre, pouvoir prendre appui, trouver des limites, une orientation, trouver sa verticalité, se positionner …, puis se centrer, se sentir dans sa profondeur, trouver une équivalence entre l’autre et soi, sentir l’interdépendance entre l’autre et soi, pour enfin, pour quelques très rares personnes bien sûr, percevoir qu’il n’y a plus de différence entre soi et l’autre.

Pour Heinz Deuser, il y a dans le Champ d’Argile tout ce qui est nécessaire pour le développement humain.
L’accompagnateur, par sa présence, donne sécurité et contenant, il soutient par de brèves interventions verbales tous les gestes portés par l’élan vital, par l’énergie de vie : « suivez tous les besoins des mains, suivez toutes les impulsions ».
Il s’agit toujours de répondre à un besoin profond, inconscient, et pour cela il faut lâcher d’anciens vécus relationnels; au cours du processus qui dure d’une demi-heure à une heure, la personne rencontre parfois des peurs, des blocages ; il y a souvent conflit entre ce que voudrait son être et des résistances, provenant de tous les gestes empêchés de son histoire, liés à des manques, à des souffrances, à des interdits…
Le thérapeute est là pour l’aider à se remettre dans le courant de la vie et à prendre le risque du nouveau, de l’inconnu.
Quand tous les mouvements ont pris forme, c’est la fin du travail, la Gestalt optimale : c’est en général une forme très simple, unifiée, unifiante, centrée, lorsque la personne a pu aller au bout de son processus.
Celle-ci s’ajuste et ajuste la position du cadre et de ses mains, elle se redresse et trouve sa verticalité.
Elle sent dans son corps que tout est accompli pour cette séance.
Une femme d’une cinquantaine d’année me disait dernièrement à la fin de sa séance : « impression de dignité, de légèreté…au seuil de quelque chose, une porte ouverte, quelque chose d’immense ».
Dans le travail au champ d’argile, la personne se transforme à son rythme, guidée par l’intelligence de la vie, pour devenir de plus en plus elle-même, vivante et vaste; en agissant, elle se prend peu à peu en main et devient de plus en plus consciente d’elle-même. Le travail au champ d’argile conduit à une plénitude, à l’accomplissement de soi.

Pour conclure, je voudrais citer Heinz Deuser, le créateur de la méthode

« Nous nous trouvons comme êtres vivants dans la vie et nous devons nous réaliser dans la vie. La vie elle-même devient urgence, et cette urgence – à travers les crises – cherche une réalisation, tend vers un accomplissement.
Le manque est l’inaccompli, c’est à dire la vie elle-même qui aimerait trouver sa forme à travers nous-mêmes.
Elle s’exprime dans le besoin d’agir auquel nous sommes invités en nous trouvant devant le Champ d’argile ».

Heinz Deuser