Le Champ d’argile®, Sagesse du corps, Sagesse de la terre

Article paru dans le journal des thérapeutes biodynamiques – le canard biodynamique – été 2010

Présenter aux lecteurs du Canard Biodynamique ma pratique avec le Champ d’argile® est un challenge.

En effet, la thérapie biodynamique a été ma première formation de thérapeute et j’ai travaillé quelques années en tant que thérapeute biodynamique, comme d’ailleurs un certain nombre de mes collègues qui utilisent le Champ d’argile, et ce n’est pas un hasard.
Très proche par certains aspects, très différents par d’autres, c’est une méthode très originale de transformation intérieure, de guérison et de maturation.
Inventée dans les années 70 par un allemand, le professeur Heinz Deuser, cette approche a comme principaux fondements théoriques la psychologie analytique de C.G. Jung, et la Gestalt-psychologie, mais c’est un travail qui est essentiellement corporel, basé sur l’haptique (vient du grec « haptomai » qui signifie « je touche »), sur les perceptions sensorielles, perceptions cutanées, mais aussi perceptions kinesthésiques et proprioceptives. Ces perceptions proviennent de niveaux profonds et très inconscients. Tout le corps est impliqué ; par le biais des sensations, le toucher relie à toute une mémoire inscrite dans le corps, venant des toutes premières expériences relationnelles.
On propose aux enfants et aux adultes de toucher de l’argile contenue dans un cadre en bois posé à plat sur une table et de laisser faire les mains, c’est à dire de suivre tous les gestes, toutes les impulsions, tous les besoins des mains. Pour les adultes, il est conseillé de fermer les yeux pour être plus dans la sensation, dans le ressenti du toucher. Une séance dure d’une demi-heure à une heure. Il y a trois principaux éléments : un cadre en bois muni d’un fond, une assez grande quantité d’argile souple placée dedans (environ 20 kilos), et de l’eau contenue dans un bol ; chacun de ces éléments a des qualités sensorielles très différentes et complémentaires.

La particularité du travail au champ d’argile : la personne est mise en situation d’acteur, de créateur de sa propre transformation, de sa propre vie, poussée par l’élan vital issu du Soi.

Il y a en nous une « impulsion intérieure de croissance » comme le dit Marie Louise von Franz, collaboratrice de C.G. Jung et dans le champ d’argile, nous sommes provoqués et incités à agir pour répondre à une nécessité intérieure. Toucher l’argile met en mouvement. La principale consigne répétée tout au long du travail est :
« Laisser faire les mains, suivez votre besoin ».
On ne peut que s’émerveiller en voyant les mains à l’œuvre dans l’argile, les mains qui savent, animées par l’intelligence de la vie, l’intelligence du corps.
Quand on touche, on est touché. Le fait d’être touché provoque, les thérapeutes biodynamiques le savent bien ; cela réveille des besoins, invite à des décisions, demande des réponses.
Toucher l’argile, c’est entrer en relation, c’est ressentir. Cela active des manques, des besoins liés le plus souvent à d’anciens vécus relationnels, plus ou moins traumatiques, à des blocages, à un mouvement de vie qui a été empêché, et à la nécessité de transformer. Le champ d’argile donne la possibilité de se connecter à des expériences très anciennes, très archaïques ; il arrive même que se manifestent des vécus pré-nataux : besoin de transformer la paroi utérine, la rendre bonne, accueillante, chaleureuse…
Dans ce travail, on repasse par les différentes étapes de l’ontogenèse pour aller vers une maturation humaine de plus en plus développée, et les besoins, spécifiques à chacun, évoluent : être en contact peau à peau, être touché, être contenu, trouver un vis à vis, trouver un équilibre, pouvoir prendre appui, trouver des limites, une orientation, trouver sa verticalité, se positionner…, puis pour certains se centrer, se sentir dans sa profondeur, trouver une équivalence entre l’autre et soi, sentir l’interdépendance entre l’autre et soi, pour enfin, pour quelques très rares personnes bien sûr, percevoir qu’il n’y a plus de différence entre soi et l’autre.
Pour Heinz Deuser, il y a dans le Champ d’Argile tout ce qui est nécessaire pour le développement humain : une structure qui donne appui, une matière qui prend forme grâce aux gestes et qui reflète qui je suis, une relation avec un autre. Dans l’exemple décrit en fin d’article s’exprime le besoin de prendre position, de s’affirmer.
On rencontre les blessures, les manques, les empêchements, et aussi le potentiel de croissance, la possibilité de compléter des étapes inachevées au niveau relationnel, de grandir.
Et c’est la personne elle-même, et sa propre créativité portée par son élan vital, qui trouve peu à peu les solutions pour dépasser les blocages et transformer d’anciens vécus relationnels.
Il existe de multiples façons d’être en contact avec le champ d’argile et d’agir : toucher, presser, former, caresser, pénétrer, percer, diviser, enlever… A titre d’illustration, voici quelques exemples de ressentis qui entraînent une action : « c’est compact, impénétrable » => besoin de trouer l’argile, d’aérer… ; « c’est collant, encombrant » => besoin de décoller, de vider… ; « c’est sec, dur, aride » => besoin d’humidifier, d’adoucir en mettant de l’eau… La personne agit en fonction des sensations et de son ressenti ; son action transforme le champ d’argile et la transforme également. Elle se rencontre elle-même et découvre ses propres possibilités, ses compétences souvent ignorées : saisir, prendre en main, trancher, séparer, etc, et elle se sent ; par exemple :
je soulève une grosse masse => je me ressens comme ayant du poids ;
je caresse l’argile, je lisse => je ressens de la douceur en moi ;
je forme une boule consistante => je me vis comme ayant de la consistance.
Tout en transformant la matière, la personne se transforme et prend forme.

Toute perception sensorielle entraîne une action, un mouvement, un geste, et tout mouvement produit une nouvelle perception, un nouveau ressenti, et ceci d’une façon simultanée.
Vont se succéder dans une séance différentes étapes qui vont amener progressivement vers une satisfaction du besoin activé par le toucher. Quand toute l’énergie et tous les mouvements ont pris forme, alors c’est la fin du travail. La personne le sent, le sait dans son corps. Il y a un apaisement, une plénitude, la personne se redresse, s’ajuste, trouve une juste position, une juste relation entre le champ et elle.
Vient ensuite un court échange verbal, qui permet de faire des liens entre ce qui s’est passé pendant la séance et des évènements biographiques, et de permettre une intégration de ce qui s’est vécu dans le champ.
Cette approche peut être utilisée ponctuellement, en complément d’une thérapie verbale, mais aussi comme chemin de guérison et de transformation ; la fréquence des séances est alors décidée d’un commun accord :
séance hebdomadaire, ou bi-mensuelle, selon la demande et les circonstances.

Le rôle de l’accompagnant : le thérapeute est là, au côté de la personne qui travaille dans le champ. Il est présent, il soutient la personne par sa présence et par ses interventions verbales, toujours très simples et sobres. Et comme dans une thérapie biodynamique, il s’agit d’être au plus près de l’énergie de vie de la personne accompagnée. Son rôle est très important : permettre à la personne de trouver suffisamment de sécurité et d’appui, que ce soit dans le toucher de la matière argile, dans le ressenti du cadre, dans la relation à l’accompagnant, dans son propre corps.
Cela est indispensable pour entrer en contact avec des traumatismes, des peurs, des blocages, pour lâcher d’anciens mécanismes, d’anciens modes de relation, et pour aller vers son potentiel, vers de nouvelles qualités de relation avec l’autre et avec soi-même. Dans le récit de la séance rapportée en fin d’article, la personne cherche en premier la résistance et la solidité du cadre, pour d’une façon simultanée trouver cette solidité en lui, trouver un appui, une sécurité qui va lui permettre de prendre le risque d’aller vers une nouvelle manière d’être.
Tout cela se passe à un niveau assez inconscient.
L’accompagnant est très attentif à la façon de toucher, à la qualité du toucher : certaines personnes ne peuvent pas toucher, d’autres ne peuvent pas prendre la matière…
Apprendre à voir très précisément comment la personne entre en contact avec cet objet qu’est le champ d’argile, c’est le but principal des trois ans de formation : voir où l’énergie est bloquée, voir où le contact serait possible, discerner l’intention du geste. Est ce que la personne touche avec le bout des doigts, avec le pouce, avec les avant-bras, avec la paume ? Quelle est la qualité de son toucher ?
On peut discerner le besoin profond de la personne au travers des blocages, des empêchements : par exemple, une femme d’une quarantaine d’année commence à toucher le champ d’argile avec des mains complétement tendues, raides : elle ne pouvait pas entrer en contact, ni prendre l’argile, ses mains en étaient incapables. Cela pouvait exprimer un manque très précoce et très profond au niveau sensoriel. Comment lui permettre de trouver suffisamment confiance, quel geste, quel toucher fallait-il particulièrement soutenir pour qu’elle se risque à un vrai contact, là ou elle pourra satisfaire son besoin profond de toucher et d’être touché. C’est tout l’art de l’accompagnement : favoriser tout ce qui peut donner sécurité et confiance, et soutenir tous les gestes mus par l’élan vital, par la nécessité intérieure d’être en relation et de s’accomplir.
Lors de ce magnifique congrès « Corps et Conscience » qui s’est déroulé à Paris en 2008, j’ai eu l’occasion, avec Sixtine Henry d’Aulnois et Benoît Saillau, d’animer un atelier au cours duquel nous avons présenté le champ d’argile; nous avons montré une vidéo d’un processus filmé lors d’un stage de perfectionnement pour thérapeutes, accompagnée de son compte-rendu, écrit juste après le travail par la personne qui avait vécu l’expérience, en l’occurrence Benoit Saillau, lui-même thérapeute au champ d’argile.
Celui-ci a bien évidemment déjà un long parcours thérapeutique ; aussi il est assez conscient de ce qui se passe, même dans les premières étapes du travail, ce qui n’est pas très fréquent. Le grand intérêt de cette séance est qu’elle est très claire, très orientée dés le début, très pédagogique dans le sens qu’elle illustre les différentes phases du travail au champ d’argile sur le plan structural. On peut s’étonner que Benoit, dans son compte-rendu ne fasse pas plus référence à l’accompagnant ; en fait celui-ci par sa présence et ses interventions verbales permet le processus mais il reste en arrière-plan. On peut le comparer à une sage-femme qui accompagne une naissance, l’important reste l’expérience de la naissance.

Dans l’exemple qui suit, à chaque moment clé, j’ai inséré en commentaire l’étape où se situait le travail, en me référant à un des schémas mis au point par Heinz Deuser, le schéma du processus de formation de la Gestalt optimale, schéma que vous pourrez voir ci-dessous. En donnant des repères bien précis, ce schéma permet à l’accompagnant de donner un soutien adapté au processus en cours, par des interventions verbales spécifiques à chaque phase du travail. Chaque processus de création suit les mêmes lois, et ce processus prend fin dans la gestalt optimale, quand toutes les énergies du champ ont trouvé leur expression et leur forme d’équilibre ; c’est pourquoi il n’y a plus de mouvement possible quand arrive la gestalt optimale. Chaque mouvement a trouvé son expression dans la forme. On peut très clairement le percevoir dans l’exemple donné ci-après.
L’énergie est alors dans la forme.
Le mouvement devient Gestalt est le titre du premier livre écrit sous la direction de Heinz Deuser (en allemand
« Bewegung wird Gestalt – éditions Doering -2004 »)

Compte-rendu de la séance écrit par Benoit Saillau juste après le travail ………